Passer au contenu Société Mérimée
Prosper Mérimée
1803 - 1870

Biographie

Prosper Mérimée a laissé une grande œuvre. Dix-huit nouvelles, dont une demi-douzaine comptent parmi les balises de l’histoire littéraire, et des centaines d’édifices, arcs de triomphe, cathédrales, palais, avec des statues, des fresques, des tapisseries, des retables, qui font vivre le passé grâce à l’inspecteur général des Monuments historiques. Traducteur, il a fait connaître des œuvres de Pouchkine et de Gogol aux lecteurs français. Historien, il a été le premier à fonder une monographie de Pèdre Ier de Castille sur des documents des archives de Madrid et de Barcelone. Cette inscription dans plusieurs domaines culturels assure une rare originalité à son œuvre, en même temps qu’elle provoque la réticence de nombreux commentateurs à l’égard de la vocation plurielle de l’auteur.

1803-1833 : Formation d’un écrivain ; une brillante jeunesse

Sa famille

Prosper Mérimée est né le 23 septembre 1803 dans une famille d'artistes bourgeois, installée près du Panthéon. Il n’est pas baptisé et il restera fidèle, sa vie durant, aux convictions athées de ses parents. Son père, Léonor Mérimée (1757-1836), est professeur de dessin à l'Ecole polytechnique, et sera plus tard secrétaire perpétuel de l’Ecole des Beaux-Arts. Sa mère, Anne Moreau (1774-1852), dont l’aïeule fut Mme Leprince de Beaumont, l’auteur de La Belle et la Bête, est portraitiste et enseigne, elle aussi, le dessin. Le couple a un solide bagage intellectuel et artistique datant du XVIIIe siècle, mais ne s’engage guère dans les courants culturels naissants. De l’éducation parentale, Mérimée retiendra, sur les plans esthétique et affectif, l’horreur de l’emphase. C’est de sa mère qu’il tient sa devise : « Souviens-toi de te défier ». La famille n’est pas aisée, mais mène une vie intéressante et calme. On reçoit de nombreux artistes, français et anglais. Parmi eux, Füssli, dont les thèmes fantastiques font écho aux goûts du jeune Mérimée pour l’irrationnel, la magie, un goût qu’il cultive par des lectures, telles que Le Traité des apparitions de Dom Calmet. A quinze ans, il maîtrise l’anglais, qu’il pratique avec les élèves de sa mère venues d’outre-Manche ; parmi elles, les sœurs Lagden, Fanny et Emma, qui tiendront sa maison pendant les dernières années de sa vie. Ses études au Lycée Napoléon (plus tard, Collège Henri IV) le mettent en contact avec les fils de l’élite parisienne ; entre eux, Adrien de Jussieu, Charles Lenormant et Jean-Jacques Ampère avec qui il traduit Ossian. En 1819, il s’inscrit à la faculté de droit, marchant ainsi dans les pas de son grand-père, François Mérimée, éminent avocat du Parlement de Rouen et intendant du maréchal de Broglie. Il obtient sa licence en 1823. La même année, il est exempté du service militaire, pour faiblesse de constitution. Néanmoins, il sera incorporé en 1830 à la Garde Nationale. Jusqu’à son entrée dans la fonction publique en 1831, Mérimée n'exerce aucun métier hormis celui de l’écrivain. En 1825, le Théâtre de Clara Gazul, son premier livre, marque ses débuts brillants. En 1827 paraît La Guzla ou choix de poésies illyriques, prétendues productions populaires inventées par lui, mais qui seront prises pour authentiques par des poètes et des savants. 1828 : La Jaquerie, scènes féodales, et La Famille Carvajal, drame. 1829 : Chronique du temps de Charles IX, roman historique, important succès de librairie. La même année, il publie Mateo Falcone, sa première nouvelle. C’est dans le cadre de ce genre qu’il écrira ses chefs-d’œuvre.

Adresses parisiennes

La famille Mérimée déménage souvent, tout en restant d’abord dans un périmètre assez étroit de l’actuel Ve arrondissement de Paris, puis à l’Ecole de Beaux-Arts et alentour. Le fils ne quitte pas le foyer familial, et, après le décès de sa mère en 1852, il emménage dans un immeuble appartenant à son cousin Léonor Fresnel.

  • 1803 : naissance de Mérimée, au 7, Carré Sainte-Geneviève, division du Panthéon.
  • 1805 : 739, rue Saint-Dominique-l'Enfer
  • 1806 : 10, rue Saint-Dominique-l'Enfer
  • 1807 : 45, rue des Postes
  • 1808 : 12, rue des Postes
  • 1814 : 19, place de l'Estrapade
  • 1816 : 25, rue Neuve Sainte-Geneviève
  • 1820 : Ecole des Beaux-Arts, 16, rue des Petits-Augustins
  • 1836 : 20, rue des Marais-Saint-Germain
  • 1838 : 10, rue des Beaux-Arts
  • 1847 : 18, rue Jacob
  • 1852 : 52, rue de Lille

Dans les salons de la Restauration

La vie sociale aura toujours une importance de premier plan pour Mérimée. Il commence à fréquenter l’élite parisienne dès les années 1820. Il n’a pas de nom, ni de fortune, mais dispose de nombreuses relations, par son père et ses camarades de lycée. Spirituel, détaché, de très bonne compagnie, il sera recherché. Il prend ses marques dans les milieux ouverts aux idées libérales ou acquis aux tendances artistiques nouvelles. S’il reste discret dans la manifestation de ses préférences politiques, il refuse néanmoins toute “ compromission ” avec le pouvoir sous la Restauration, allant jusqu’à décliner un poste diplomatique à Londres, en 1829 : “ accepter des fonctions quelques peu importantes qu’elles soient, sous l’Administration actuelle, serait n’être pas d’accord avec moi-même. ” (Lettre à Mme Récamier, 25 octobre 1829). Il fréquente de nombreux salons : Jean-Jacques Ampère l’introduit chez Mme Récamier ; par Albert Stapfer, il accède au cercle du père de celui-ci, où il rencontre Victor Cousin ; chez le baron Gérard, le peintre, il côtoie Ingres et Delacroix ; avec son ami Henry Beyle (Stendhal), de vingt ans son aîné, on le trouve chez Emmanuel Viollet-le-Duc, le père de l’architecte, ou chez Cuvier, où il goûte la compagnie de la belle-fille de l’hôte, Sophie Duvaucel, jeune femme cultivée et spirituelle, à qui son ami Sutton Sharpe sera lié au point de parler de mariage. Mais c’est au "grenier" d’Etienne Delécluze que l’écrivain se révèle. Courier, Stendhal, Sainte-Beuve, Vitet et d’autres y élaborent ce que la postérité appellera quelquefois le « romantisme réaliste », et le jeune Mérimée y lit les premières pièces du Théâtre de Clara Gazul. Delécluze le décrit, à dix-neuf ans :

Son regard furtif et pénétrant attirait d'autant plus l'attention que le jeune écrivain, au lieu d'avoir le laisser aller et cette hilarité confiante propres à son âge, aussi sobre de mouvement que de paroles, ne laissait guère pénétrer sa pensée par l'expression fréquemment ironique de son regard et de ses lèvres.

Ce sont les plumes acérées du grenier de Delécluze, intervenant avec vigueur dans les querelles autour du classicisme, que réunit Le Globe, revue à laquelle Mérimée collabore aussi. Delacroix, David d’Angers, Musset, Stendhal, les amis de Mérimée sont les initiateurs du romantisme libéral. Son amitié avec Hugo ne dure pas : il prendra une distance critique par rapport à un romantisme dont il n'apprécie pas la dimension emphatique.

Un jeune homme qui aime les femmes

A sept ans, apprenant le mariage de Mlle Dubost, une élève de sa mère, Mérimée vit son premier chagrin d’amour. Ses jeunes années se passent dans une intense recherche de plaisir, souvent auprès de femmes légères. Dans des lettres adressées à ses amis Stendhal ou Sutton Sharpe, il commente ses expériences, plus d’une fois faites en compagnie, celle de Musset, de Delacroix et d’autres, avec une liberté d’expression qui ne manquera pas de heurter la postérité. Lui-même résumera ainsi cette période de sa vie :

Etant devenu un très grand vaurien, j'ai vécu sur mon ancienne bonne réputation… Après être redevenu très normal, je passe encore pour vaurien. En vérité, je ne crois pas l'avoir été plus de trois ans et je l'étais non de cœur, mais uniquement par tristesse, et un peu peut-être par curiosité.

On lui connaît à cette époque deux liaisons importantes. De 1827 à 1832, il a été l’amant d’Emilie Lacoste, à qui son mari avait bien voulu passer Joseph Bonaparte, mais non pas Mérimée qu’il provoqua en duel. On a émis l’hypothèse, peu vraisemblable, que Mérimée aurait été le père de l’écrivain Emile Duranty, fils de Mme Lacoste. De 1831 à 1836, il entretient une liaison assez constante avec Céline Cayot, une actrice des Variétés, « personne très singulière, ayant de la vertu à sa façon » (Lettre à Lise Przezdziecka, 27 octobre 1866). Parmi les rencontres éphémères, la postérité retient son « fiasco » avec George Sand (avril 1833), qui les laissera l’un et l’autre amers. Parallèlement à ces amours, prend son commencement une relation sentimentale majeure. Une admiratrice inconnue, s’annonçant sous le nom de lady Algernon Seymour, lui adresse des lettres ; sous ce pseudonyme se cache la fille d’un notaire de Boulogne, Jenny Dacquin. Ils se voient fin 1832, et, désormais, jusqu’à la mort de Mérimée, ils entretiendront une relation stable et profonde, du genre de l’« amitié amoureuse ». En 1874, sous le titre de Lettres à une inconnue, la destinataire publiera deux volumes de correspondance de son illustre ami, permettant ainsi à la postérité de découvrir un Mérimée « sensible ».

Voyages en Angleterre, en Espagne

L’anglophilie de Mérimée est un héritage : sa grand-mère avait vécu dix-sept ans en Angleterre, ses parents sont versés dans la culture anglaise. Lui-même fera de nombreux séjours outre-Manche. Le premier a lieu en 1826. Il lui permet de revoir à Londres Jacques-Simon Rochard, ami de son père et son initiateur à la pratique de la peinture. Par la suite, il retrouvera à chaque voyage ses amis intimes, Sutton Sharpe, et, plus tard, Panizzi, conservateur au British Museum. A chaque voyage, il prend la “ température ” du pays, expérience qui lui importe parce que, tout au long de sa vie, il continue à souhaiter un rapprochement franco-britannique qui lui paraît être la garantie de l’équilibre européen. Il critique la cuisine insipide, les femmes qui manquent de beauté, l’absence de conversation qui oblige les convives, aussitôt le dîner fini, à se réfugier dans les journaux. Mais il s’habille à Londres et ses contemporains comparent ses manières à celles d’un Anglais. Taine le décrit ainsi : « Un homme grand, droit, pâle et qui, sauf le sourire, avait l’apparence d’un Anglais. Il avait cet air froid, distant, écartant toute familiarité. » Mais l’essentiel reste qu’il attribue souvent la valeur de modèles aux institutions culturelles anglaises .

L’Espagne l’attirait avant qu’il ne la connût, le Théâtre de Clara Gazul, paru en 1825, en fait foi. Il part pour l’Espagne la première fois en juin 1830, pour oublier, dit-il, un amour impossible. Son père finance ce voyage, en échange de comptes rendus détaillés d’anciens traités de peinture. Parti pour trois mois, il en passe six dans ce pays qui le séduit. Il s’enthousiasme pour les paysages espagnols, les basses classes qu’il côtoie, la corrida, l’architecture mauresque. Dans une diligence, il fait la connaissance du comte de Teba, futur comte de Montijo. Libéraux tous les deux, ils sympathisent, et Mérimée devient bientôt un intime de la famille. Mme de Montijo, esprit large et cultivé, restera jusqu’à sa mort sa grande confidente. C’est d’elle qu’il tiendra le sujet de Carmen, et elle l’aidera à rassembler la documentation pour Don Pèdre Ier, roi de Castille. Les deux fillettes du couple, Paca, six ans, future duchesse d’Albe, et Eugenia, quatre ans, future Impératrice des Français, ont tôt fait de le charmer. De retour à Paris fin 1830, il publie des Lettres d’Espagne. Très attaché au pays, il y séjournera cinq fois encore, en 1840, 1845, 1853, 1859, 1864. Des écrivains espagnols de premier rang, comme Azorín ou Unamuno, admireront sa profonde connaissance de l’Espagne.

Premiers postes dans l’administration

Pendant le voyage de Mérimée en Espagne, eut lieu la révolution de Juillet. Son libéralisme étant en accord avec le régime de Louis-Philippe, dès son retour en France, il sollicite un poste. Ses amis font de même : Ludovic Vitet est nommé inspecteur général des Monuments historiques, poste qui vient d’être créé, Stendhal est nommé consul à Trieste (l'exequatur lui est refusé et il « échoue » à Civita Vecchia), le baron de Mareste monte en grade à la préfecture de police de Paris… Grâce aux relations de son père, Mérimée est nommé, le 5 février 1831, chef du bureau du secrétariat général de la Marine, puis, le 13 mars, chef du cabinet du comte d’Argout, ministre du Commerce, qui n'est autre que le cousin de Stendhal. En mai, il est chevalier de la Légion d’honneur. En avril 1832, il est chargé de la mise en œuvre des mesures prises pour lutter contre l’épidémie de choléra. En novembre, il est nommé maître de requêtes, et le 31 décembre, chef de cabinet du comte d’Argout toujours, désormais ministre de l’Intérieur. Tout en fustigeant, devant ses amis, la bêtise et les bassesses des fonctionnaires, il se révélera très efficace dans ses différents postes. Durant toute sa vie, il fera preuve d’une force de travail exceptionnelle. En 1833, il publie Mosaïque, son premier recueil de nouvelles. Pour leur majorité, celles-ci ont paru d’abord dans la presse périodique en 1829 et 1830. Les plus importantes resteront Mateo Falcone, L’Enlèvement de la redoute, Vision de Charles IX, Tamango, Le Vase étrusque, La Partie de trictrac.

1834-1852 : Au faîte de la vie

L’inspecteur des Monuments historiques et des Antiquités nationales

Le 27 mai 1834, Thiers, ministre de l’Intérieur, nomme Prosper Mérimée au poste d’inspecteur général des Monuments historiques laissé vacant par le départ de Ludovic Vitet. Cette nomination dit Mérimée “ convient fort à mes goûts, à ma paresse et à mes idées de voyage ”. Dès le 31 juillet suivant il quitte Paris pour une tournée dans le Midi de la France ; première d’une longue série vouée à la découverte des monuments en périls. Chaque mission, effectuée dans des conditions difficiles de transport et d’hébergement qu’il évoque avec humour (" J’ai fait vingt lieues aujourd’hui en changeant sept fois de voiture dans d’horribles machines sans ressort. Je suis roué, moulu") donne lieu à des rapports au ministre dans lesquels Mérimée décrit l’état, souvent alarmant, des édifices, dénonce les affectations nuisibles et le vandalisme de certaines restaurations. Il se bat sur le terrain pour sauvegarder les édifices, rencontre les préfets, les érudits locaux, les propriétaires et affectataires des monuments menacés et demande toujours plus de moyens pour “ ses chers monuments ”. En acceptant ses nouvelles fonctions, Mérimée a conscience de ses lacunes et s’efforce de les combler:

Au moment de commencer ma tournée d’inspection, j’éprouve plus que jamais le besoin de réclamer les conseils des personnes qui, par de longues études, ont acquis la connaissance parfaite des monuments du moyen âge.

Il, se fait conseiller par Vitet, lit Arcisse de Caumont et surtout se forme sur le terrain. S’il a une attirance particulière pour la préhistoire et l’antiquité classique, il s’intéresse aussi bien à l’architecture militaire que religieuse ou civile, avec une prédilection pour les édifices « bizantins » c’est à dire romans et gothiques. Il n’oublie jamais ni le décor : vitrail, peintures murales, ni les objets d’art qui figurent en bonne place sur la liste de 1840. En homme de son temps il est peu sensible aux œuvres de l’époque classique. Cet infatigable voyageur met progressivement en place une administration. Il rédige les circulaires fondatrices du service de 1841 et 1842, participe à la création, en 1837, de la commission des Monuments historiques qui est alors dotée d’un embryon de bureau, s’entoure d’architectes spécialisés dans la restauration des édifices anciens et élabore, avec ses collaborateurs, au fil des chantiers et des problèmes rencontrés, une doctrine de restauration. Il publie des Notes de voyages dans le Midi de la France (1835), dans l’Ouest de la France (1836), en Auvergne (1838), etc., et de nombreux rapports, articles et études sur les Monuments. Ses premières expériences dans différents ministères lui permettent de maîtriser les rouages administratifs de façon à les faire jouer pour parvenir à des résultats importants. Il met à profit ses relations aux Beaux-Arts, au Commerce, aux Travaux Publics, à l'Intérieur, faisant jouer rivalités et influences, pour obtenir la sauvegarde, la restauration et, souvent, l’achat par l’Etat de monuments et d’objets d’art.

Les commissions auxquelles appartient Mérimée

  • 10 janvier 1835 : il entre au Comité des Lettres, Philosophie, Sciences et Arts, créé à l'Instruction publique par Guizot.
  • 1836 : nommé au Conseil des Bâtiments civils.
  • 18 décembre 1837 : Salvandy crée le Comité historique des Arts et Monuments dont le rôle est de publier les documents inédits de l'histoire de France. Mérimée fait partie de la 4ème sous-commission "Arts et Monuments", dirigée par Gasparin, avec Victor Hugo, Ludovic Vitet, Jean-Jacques Ampère, Montalembert, Léon de Laborde, Sainte-Beuve, Charles Lenormant, Le Prévost, Taylor, Didron. Ce comité publie le Bulletin archéologique destiné à dresser l'inventaire des monuments de la France. Mérimée y présente 104 inventaires, 75 rapports, 10 instructions, 4 communications. Ce comité deviendra le Comité des Travaux historiques.
  • 29 septembre 1837 : Montalivet, ministre de l'Intérieur, créée la Commission des Monuments historiques pour distribuer les crédits des réparations. Les présidents sont Vatout, puis Vitet. Le secrétaire est Mérimée. Il y siège jusqu'en 1870.
  • 1848 : il siège à la Commission des Edifices diocésains.

Œuvres littéraires et historiques. Honneurs académiques

Avec sa nomination au poste d’inspecteur général des Monuments historiques, une nouvelle vocation s’ouvre devant Mérimée. Désormais, ses publications littéraires s’espacent, mais ses nouvelles les plus célèbres n’en datent pas moins de cette époque : La Vénus d'Ille (1837), son récit le plus lu, peut-être, de nos jours ; Colomba (1840), sacrée par Sainte-Beuve « classique », son plus grand succès de son vivant ; Carmen (1845), à la nombreuse descendance. Parallèlement, il engage des recherches historiques, publie deux volumes d’Etudes sur l’histoire romaine (Essai sur la guerre sociale, 1841 ; Conjuration de Catilina, 1844), et une monumentale monographie, Don Pèdre Ier, roi de Castille (1847-1848). En 1846, l’écrivain se tait pour vingt ans ; il expliquera ce silence par l’éloignement de Valentine Delessert, sa maîtresse depuis 1836 :

Ce qui m’a empêché de travailler est un motif un peu bête. Lorsque j’écrivais, c’était pour l’amour d’une belle dame. Lorsqu’elle ne s’est plus amusée de moi, je n’ai plus rien fait (Lettre à Tourgueniev, 27 janvier 1855).

C’est pour plaire à Valentine qu’il brigue, a-t-on suggéré, une place à l’Académie. En 1843, la mort de Fortia d’Urban libère un siège à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres. Mérimée hésite à se présenter, craignant de compromettre ses chances pour une future élection à l’Académie française. Mais il finit par se lancer, fait la tournée des académiciens pour obtenir des voix, et sera élu le 17 novembre 1843. Quatre mois plus tard, le 14 mars 1844, il est élu à l’Académie française. Le lendemain paraît Arsène Guillot, nouvelle qui fait crier à l’immoralité certains de ses confrères, au point qu’ils regrettent d’avoir voté pour lui. Comme il n’apprécie guère Nodier à qui il succède, dans l’éloge qu’il doit faire de lui lors de sa réception, les compliments cachent souvent des piques : « Qu’il s’agisse de lui, qu’il s’agisse des autres, qu’importe à M. Nodier, l’exactitude rigoureuse des faits. Pour lui tout est drame ou roman. » Des séances de la rédaction du Dictionnaire historique de la langue française et de la révision du Dictionnaire de l’Académie, où il s’ennuyait souvent, il nous a laissé de caricatures perspicaces. Aux jeux des élections, il se fera un devoir de se montrer aimable aux candidats, et il encouragera toujours ses amis, Vitet, Rémusat, etc., de tenter leur chance. Le 1er décembre 1848, il sera élu, en reconnaissance de ses travaux sur don Pèdre Ier, à la Real Academia de Historia de Madrid.

Un grand amour

Pendant dix-huit ans, et peut-être au delà, Mérimée aime Valentine Delessert. Il confie à Esprit Requien (12 janvier 1836) : "Je suis fou amoureux de la perle des femmes, heureux parce que je suis amoureux fou, très malheureux parce que je ne puis prouver mon amour aussi souvent que je le voudrais." Jenny Dacquin et Valentine Delessert, l’amie amoureuse et l’amante amie, sont les deux grandes fidélités Mérimée. C’est une liaison admise dans les cercles familiaux et sociaux, seul le mari semble l’ignorer. Valentine Delessert est une femme charmante, cultivée, son salon de la rue Basse de Passy est parmi les plus distingués de Paris. Mérimée y est toujours présent. Il y introduit Mme de Montijo et ses filles ; une intimité s’établit rapidement. En 1836, il entre au Cercle des Arts (12, rue de Choiseul), dont il sera le vice-président. Il fréquente aussi les salons de la duchesse de Decazes, du comte de Broglie… L’amant de Mme Delessert est un mondain, obligatoirement. Mais, peu à peu, elle s’éloignera de lui pour vivre d’autres amours, avec Charles de Rémusat puis Maxime Du Camp. Celui-ci l’oblige à renvoyer à Mérimée les lettres qu’il lui a écrites : la rupture est consommée. Mérimée est désespéré. A Mme de Montijo, sa confidente. « J’ai éprouvé ces derniers mois toutes les misères de cœur qu’il est donné à un être humain de souffrir » (25 décembre 1848). Quelques années avant sa mort, il reprend des rapports amicaux avec Mme Delessert. Dans ses activités professionnelles, Mérimée croise souvent le frère de Mme Delessert, Léon de Laborde, membre de la Commission des monuments historiques, puis directeur général des archives de l’Empire. Il est aussi en bons rapports avec le fils de sa maîtresse, Edouard Delessert, qu’il initie ainsi à l’amour :

A mon avis les femmes se divisent en deux classes : 1° celles qui méritent le sacrifice de la vie ; il n’y en a guère à la vérité, mais en cherchant on en trouve ; 2° celles qui valent de 5 à 40 francs. Dans cette dernière classe, il y a d’excellents morceaux.

Une fidélité aveugle en amitié: l'affaire Libri

Mérimée eût été un homme de premier ordre s'il n'eût pas eu d'amis. Ses amis se l'approprièrent (Renan, Souvenirs d’enfance et de jeunesse).

Mérimée fait preuve d’une fidélité absolue, aveugle, en amitié. L’affaire Libri en est l’exemple éloquent. En 1852, Guillaume Libri (mathématicien, professeur au Collège de France, membre de l'Académie des Sciences, inspecteur général de l'Instruction publique et des Bibliothèques) est accusé d’avoir volé des livres dans les bibliothèques qu'il est chargé d'inspecter. Un rapport de 1848, retrouvé dans le bureau de Guizot en 1850, est à l’origine de l’affaire. Libri a fui à Londres. Il sera condamné par contumace à dix ans de réclusion. En dépit de l’évidence de la culpabilité de son ami, Mérimée prend sa défense avec vigueur. A la suite d'un article qu’il publie dans la Revue des Deux Mondes, le 15 avril 1852, il est condamné pour outrage à la magistrature à quinze jours de prison et 1000 francs d'amende. La femme de Libri, que Mérimée a connue dans sa jeunesse, n’a certainement pas été étrangère à cet engagement irraisonné. Son emprisonnement à la conciergerie laisse de bons souvenirs à Mérimée. Il partage sa réclusion avec son ami Edouard. Bocher. « Je ne me suis pas ennuyé en prison. C’est un endroit très frais et excellent dans les grandes chaleurs. J’y ai passé quinze jours à travailler et sans un moment d’ennui ”(A Joly-Leterme, juillet 1852). M. Bocher et moi nous recevons tant de visites que nous avons bonne envie de demander qu’on nous mette au secret ” (Au chancelier Pasquier, 15 juillet 1852). La prison ne calme pas son ardeur à défendre Libri. Sénateur, il interviendra en assemblée plénière pour plaider la cause de la pétition présentée par la femme de son ami.

Le voyageur : Europe, Moyen-Orient

Où qu'il aille, Mérimée ne perd pas de vue sa profession. Sa conception du voyage allie le divertissant au studieux. Il visite monuments et musées, se ménage des entrées dans les milieux érudits et mondains, tout en étant à l’affût des plaisirs qu’offre chaque pays. En juin et juillet 1836, en compagnie de son ami Félicien de Saulcy, il passe cinq semaines en Rhénanie, et y retourne en 1846, pour trois semaines.

Quel beau pays que l’Allemagne des bords du Rhin que feu Napoléon nous a fait perdre. On y est de dix ans en avance sur la France.

En 1851, il fait un court séjour en Hollande qui ne le séduit pas, mis à part les tableaux de Rembrandt. En 1854, 1855 et 1858, il effectue plusieurs voyages en Europe centrale. En Bavière, il s’intéresse aux édifices élevés par le roi Louis : “ J’ai vu ici tout ce que peut faire un roi qui a du goût avec peu d’argent et des artistes médiocres. ” (Lettre à Mme de Montijo, 15 juillet 1858). Il visite la Suisse, l’Autriche – “ après Madrid, Vienne est la ville où il fait meilleur vivre ” (Lettre à La Saussaye (5 novembre 1854) – , la Hongrie… En novembre 1839, après sa tournée en Corse, il rejoint Stendhal en Italie. Celui-ci supporte mal l’"affreuse vanité" de son compagnon de voyage. Leur amitié se ternit. De ce voyage, Mérimée écrit à Esprit Requien :

Je me suis laissé entraîner à Rome par M. Beyle. J’en suis on ne peut plus content, mais il y a tant de choses à voir qu’on s’y extermine. La fatigue des jambes n’est rien auprès de celle qu’on éprouve à voir quarante mille belles choses dans une matinée. La tête me pète de fatigue et mes yeux voient trente six mille chandelles (15 octobre 1839).

Ils passent quinze jours à Rome, vingt-cinq à Naples. Insensible au charme de Venise lors de son premier voyage, en 1853 Mérimée quittera cette ville en se promettant d’y revenir. Florence l’enthousiasme.

Le 25 août 1841, il embarque à Marseille pour la Grèce et l’Asie Mineure. Cette fois, il voyage en compagnie de Lenormant, d’Ampère et du baron de Witte, un érudit belge. A Athènes, il est accueilli par Théodose de Lagrené, ministre de France ; c’est le début d'une longue amitié. Olga de Lagrené sera son professeur de russe. A Segretain, il dira son admiration pour l’architecture antique :

J’ai passé trois semaines à Athènes, en extase devant les plus beaux monuments que l’esprit puisse concevoir ; on ne peut expliquer en quoi le Parthénon est si supérieur à toutes ses copies. Il a un je ne sais quoi qu’il faut voir (Lettre du 31 mars 1842).

Il poursuit son voyage par Delphes, Syra, Constantinople, Smyrne – à Saulcy : “ A Smyrne, nous nous rassasiâmes de couleur locale, c'est-à-dire de chameau, de café sans sucre, d’Albanais, de femmes voilées et de narghilehs ” (1er décembre 1841) – , et, après une quarantaine à Malte en décembre, il rentre en France. De retour à Paris, il est obsédé par la récupération de bas-reliefs de Méandre qu’il a vus à Magnésie, et obtiendra l’accord de Syd Pacha pour les apporter en France. Ils sont au Louvre.

Mérimée aurait souhaité visiter l’Algérie, il a même commencé à apprendre l'arabe. Ce projet, conçu en 1841, a été de plusieurs fois reconduit ou annulé, se heurtant au refus catégorique du ministère de la Guerre. Quand Jenny Dacquin part pour l’Algérie pour rendre visite à son frère qui y est en garnison, Mérimée la presse de lui noter mille détails.

1848 : l’ancien libéral forme des souhaits d’ordre

Février 1848 provoque chez Mérimée un étonnement consterné :

Ce fut le triomphe de la peur. Il a suffi que le fusil d’un conscrit partît par hasard. Ordres et contre-ordres successifs. Les officiers ne savaient à qui obéir. Le Roi abdiqua sans prendre aucune mesure. […] La révolution a été faite par moins de six cents hommes qui, pour la plupart, ne savaient ce qu’ils faisaient ni ce qu’ils voulaient » (Lettre à Mme de M, 8 mars 1848).

Le 25 février, il aide Gabriel Delessert, alors préfet de Police, et sa femme à fuir en Angleterre. Le 26, il est chargé, avec Léon de Laborde, par le gouvernement provisoire, de veiller sur les objets d’art des Tuileries. En juin, les combats dans les rues de Paris, les atrocités commises par les insurgés, auxquelles la garde mobile répond par l’exécution des prisonniers, le choquent profondément. Tantôt il admire la générosité des combattants, tantôt il est révolté par leur barbarie. « Sera-t-il jamais possible de faire quelque chose d’un peuple pour qui un jour d’émeute est un jour de fête, toujours prêt à tuer et à se faire tuer pour un mot vide de sens ? » (Lettre à Mme de Montijo, 28 juin 1848). Par besoin d’ordre, ce libéral d’autrefois professe désormais des opinions conservatrices. Conformément à une tradition établie à la suite de 1789, République égale Révolution à ses yeux, de sorte qu’il ne peut espérer la modération que d’un régime de type monarchique. Son ralliement au Second Empire, motivé en premier lieu par son attachement aux Montijo, ne sera pas étranger à cette logique.

1853-1870 : sous le Second Empire

Intime de Leurs Majestés Impériales

Le 30 janvier 1853, Napoléon III épouse Eugénie de Montijo. Mérimée, qui aime tendrement l’ancienne petite fille, mais ne peut pas laisser passer l’occasion d’un bon mot, commente ainsi son accession au trône : "L’Empereur est le résultat d’une élection, Eugénie le résultat d’une érection." Il aura toujours une attitude ironique à l’égard de la cour et du couple impérial, mais n’en fera pas moins preuve d’un dévouement complet pour Eugénie. Celle-ci, de son côté, reste une amie fidèle et lui fait offrir par l’Empereur de hautes fonctions – secrétariat des commandements de l’Impératrice, direction des archives de l’Empire –, qu’il s’obstine à refuser, soucieux de préserver son indépendance. Sous la pression amicale de Mme de Montijo, il finira par accepter d’entrer au Sénat. Nombreux sont ses anciens amis libéraux que cet engagement éloignera de lui. Méfiant à l’égard de Louis-Napoléon Bonaparte, il gardera une certaine réserve envers Napoléon III, dont la simplicité dans les rapports personnels finira pourtant par gagner sa sympathie. Lorsque l’Empereur entreprend son Histoire de Jules César, Mérimée fait des recherches pour lui, rédige des notes, des rapports. Toutefois, la publication de l’ouvrage en 1865 lui inspire des méchancetés qu’il retient d’exprimer par égard pour:

[...] des gens que je respecte peu, mais que je ne peux m'empêcher d’aimer (Lettre à Victor Cousin, 13 août 1865).

Il est assidu à la cour qu’il suit dans ses déplacements, à Compiègne, Saint-Cloud, Fontainebleau, Biarritz. Mais ce mode de vie lui pèse : dîners trop copieux, couchers tardifs, vêtements étriqués, longues promenades qui l’exposent à l’humidité et au froid que sa santé chancelante supporte de plus en plus mal. Sans se faire d’illusions sur la médiocrité intellectuelle de la cour, il met tout en œuvre pour organiser les divertissements de l’Impératrice, tout en se plaignant de cette « vie agitée d’un impresario » qu’il doit mener (Lettre Jenny Dacquin, 16 novembre 1863). Vers la fin de sa vie, il sera le secrétaire, entouré de jolies jeunes femmes, d’une « Cour d’amour ». Il se fait le chroniqueur désabusé des événements de la vie de la cour. Dans une lettre à Mme de La Rochejaquelein (1er juin 1858), il rend compte de la visite de la reine de Hollande :

J'ai passé quelques jours, je ne dirai pas à m'amuser mais à m'agiter. Nous avons pris un cerf, dansé, joué des charades, etc. La Reine m'a paru une très bonne personne sachant tout, parlant de tout, accomplie en tout, mais se croyant obligée d'avoir de la vivacité française parce qu'elle se trouve en France.

En 1861, la cour reçoit la visite d’une ambassade du Siam que Mérimée commente avec humour, faisant l’analogie avec celle reçue par Louis XIV en 1684. En 1865, il rencontre Bismarck : "C'est un grand Allemand très poli, qui n'est point naïf. […]. Il a fait ma conquête" (Lettre à Jenny Dacquin, 13 octobre 1865).

Le sénateur

Par un décret du 23 juin 1853, Mérimée est nommé sénateur:

Je suis aussi content qu’un chat sur la glace, les pattes dans une coquille de noix. J’avais à choisir entre un refus ridicule et les charmes de l’avenir (à Francisque Michel, 1er juillet 1853).

Il n’accepte la faveur de cette nomination et les 30 000 francs d’indemnités annuelles qui l’accompagnent qu’à condition de pouvoir garder sa fonction d’inspecteur des Monuments, sans en percevoir les appointements. Mais, comme son état de santé s’empire au fil des années, il délègue de plus en plus de travail à son adjoint Emile Boeswillwald, qui lui succèdera définitivement en 1860. Cette même année, il est élu vice-secrétaire du Sénat. S’il est assidu au Sénat, il y prend très rarement la parole : trois fois seulement en séance plénière, en dix-sept ans. Ses interventions concernent la pétition présentée par Mélanie Libri pour défendre son mari ; les "surinettes", premiers instruments de musique mécanique à propos desquels se pose le problème de la propriété artistique ; une demande de crédits en faveur des artistes. En juillet 1865 et mai 1866, enfin, il monte en première ligne au Sénat dans la lutte anti-bigote.

Au service de l’Empire

Mérimée est nommé président de la commission chargée de réorganiser la Bibliothèque impériale. Pour mettre de l'ordre dans cette "noire caverne", il propose de suivre le modèle anglais. Il visite la British Library dont son ami Panizzi est l’administrateur en chef, en analyse et décrit le fonctionnement. Le 27 mars 1858, il présente un rapport, proposant une direction unique et la répartition des employés selon l'importance des travaux des divers départements, soumis chacun à un seul conservateur ; deux salles de lectures, l'une pour le public, l'autre pour les chercheurs ; la division du département des Imprimés en plusieurs fonds ; un changement complet du système du catalogue général. Ce projet, dont certaines parties ne seront réalisées qu’au XXe siècle, introduit une conception moderne de la bibliothèque. De plus ou moins bon gré, luttant souvent contre un ennui impérieux, Mérimée participe aux travaux de nombreuses commissions. En 1858, l’Empereur lui demande de rédiger un rapport sur la correspondance de Napoléon Ier. Il fait partie de la commission chargée d’attribuer un prix aux meilleures œuvres théâtrales. En 1861, il participe à la préparation du sénatus-consulte sur les moyens d'enrayer la crise monétaire. Il siège au jury d'architecture de l'Exposition universelle de 1867, en compagnie de son ami Arago, inspecteur général des beaux-arts et membre du comité d'organisation. Enfin, il est membre de la commission de réflexion sur la propriété littéraire et artistique. Le 14 août 1866, il est promu grand officier de la Légion d’honneur.

Vie de l’esprit

L’écrivain, muet depuis 1846, est relayé par l’historien. Ayant approfondi ses connaissances de russe au point d’être en mesure de traduire Pouchkine, Gogol et son ami Tourgueniev, Mérimée publie des études sur l’Histoire russe : Episode de l’histoire de Russie. Le Faux Démétrius (1853), Les Cosaques d’autrefois (1865), Histoire du règne de Pierre le Grand (1864, 1867-68). En 1866, le conteur reprend la plume et écrit une petite histoire satirique, La Chambre bleue, pour amuser l’Impératrice. Suit, en 1869, Lokis, sa dernière grande nouvelle, puis, en 1870, Djoûmane, un rêve exotique. Mais, s’il a gardé sa vigueur d’autrefois, l’écrivain ne marche pas avec son temps : les lettres de cette époque témoignent de l’incompréhension de Mérimée pour la littérature de ses cadets, à commencer par Flaubert et Baudelaire. Non qu’il soit isolé : il fréquente toujours les rendez-vous de l’élite culturelle, en particulier le salon de la princesse Mathilde, où il se sent plus libre que dans les demeures du couple impérial. Fille du roi Jérôme, la princesse aurait dû épouser, à seize ans, Louis-Napoléon Bonaparte, son cousin germain, mais son père s’y opposa. Mariée à un prince russe, elle s’en sépara après quatre ans, et entretint, par la suite, une liaison considérée comme officielle avec le comte de Nieuwerkerke, surintendant des Beaux-Arts. Femme cultivée et spirituelle, elle-même peintre, elle accueillait dans son salon tous ceux qui comptaient dans les lettres, les arts et les sciences. Mérimée amuse la Princesse comme il amuse l’Impératrice, mais elle ne se fait pas d’illusions :

Il n’a jamais aimé ma famille. Il marche sur mes œufs, mais quand il est dans les escaliers, il doit les casser.

Cannes : les hivers, la mort

A partir de 1856, Mérimée passe ses hivers sur la côte d’Azur ; à Nice, puis à Cannes, séjour recommandé par ses médecins pour tenter d’alléger ses difficultés respiratoires, symptômes d’asthme ou d’emphysème. A Tourgueniev, le 28 février 1867 :

Lorsqu’on a passé quarante ans, il faut se tenir au soleil le plus qu’on peut. Il n’y a pas de médecin qui le vaille. Je serais déjà mort, enterré et remplacé à l’Académie, si je n’avais compris la sagesse des hirondelles qui changent de pays suivant les saisons.

Comme à Paris, les sœurs Lagden veilleront à son ménage : “ A notre âge il faut avoir plusieurs femmes qui prennent soin de vous. Ces deux-là sont toutes bonnes, dévouées et n’ont pas peur d’un cigare ” (à Edward Childe, 24 novembre 1857). Dans la mesure, de plus en plus limitée, où la maladie le lui permet, il continue à mener une vie mondaine sur la Côte d’Azur. Il rend des visites et invite ses amis, tel Cousin, dans sa demeure hivernale. Les moyens de transport pour accéder à Cannes étant hasardeux, il se réjouit de la création d’une ligne de chemin de fer… pour avoir à déplorer très vite que l’installation de celle-ci en bord de mer défigure le paysage. Sa maladie s’aggrave : bronchites réitérées, étouffements permanents. Le 19 juillet 1870, la France déclare la guerre à la Prusse. Le 23, l’Impératrice est nommée régente. Les 18 et le 20 août, malgré ses souffrances, il se rend chez Thiers dont il tente, sans succès, de rapprocher les vues de celles de l’Impératrice. Il arrive à Cannes, épuisé, le 11 septembre. Le 13, il écrit à Mme de Beaulaincourt :

J’ai toute ma vie cherché à être citoyen du monde avant d’être Français, mais ces manteaux philosophiques ne servent à rien. Je saigne aujourd’hui des blessures de ces imbéciles de Français, je pleurs de leurs humiliations, et, quelque ingrats et absurdes qu’ils soient, je les aime toujours.

Il meurt le 23 septembre. Béni par un pasteur protestant, il est inhumé au cimetière anglais de Cannes. Fanny Lagden partagera sa tombe. Paris apprend sa mort par un article du Times.

Le 23 mai 1871, la maison du 52 rue de Lille, qu’il a habitée, est incendiée. De ses manuscrits, lettres, livres, objets, rien n’est resté.