Passer au contenu Société Mérimée

Thèmes

Animalité

Mérimée était un passionné des chats, il en crayonnait partout et en toutes occasions. Les animaux occupent une place exceptionnelle dans son œuvre, qu’ils soient inquiétants, même dangereux, comme le serpent, le tigre, l’ours, le lynx, le chat, ou inoffensifs, comme la colombe, le canari, le cabri. Dans ses dernières nouvelles, l’auteur lui-même attire l’attention à l’importance qu’il accorde à l’animalité par les titres de Lokis, qui signifie ours en lituanien, et de Djoûmane, nom que porte le serpent, un des protagonistes de l’histoire.

Sans doute, le cadre exotique où Mérimée situe ses histoires explique, ne serait-ce qu’en partie, cette importance inhabituelle de l’animal. L’expression du regard des bohémiens ne peut être comprise que par analogie avec celle des yeux d’une « bête fauve », apprend-on dans Carmen . L’intérêt de Mérimée va, en premier lieu, au rapport étroit qui lie humanité et animalité : « Il me semble qu’il y a quelque chose de poétique dans ce mélange d’humanité et de bestialité », note-t-il au sujet de Lokis . Plusieurs textes ont pour thème privilégié le glissement de l’humain vers l’animal : le comte Szémioth, dont le caractère bourru appelle la comparaison avec l’ours, finit par se métamorphoser en ours ; Carmen, qui arrive dans la « rue du Serpent », se mue en tentatrice et les pupilles de Diane de Turgis, lorsqu’elle désire un homme, se dilatent comme celles d’un chat. Dans tous les cas, Mérimée raconte la progressive soumission de l’homme aux tendances animales qui l’habitent, à ses pulsions et à ses désirs profonds.

L’inscription de l’animalité dans l’œuvre de Mérimée passe aussi par une mythologie comparée : les croyances et les superstitions locales sont expressément reliées aux grands mythes gréco-latins ou aux textes judéo-chrétiens fondateurs. Carmen, à qui le narrateur est prêt à attribuer aussi bien des origines juives que bohémiennes, crée des situations qui rappellent la scène de la tentation et la chute du Paradis, la sorcière lituanienne est comparée à Circé, la piqûre du serpent, dans Djoûmane, rappelle la mort d’Eurydice et sa descente aux enfers. La révélation de l’animalité en l’homme va de pair, curieusement, avec une remontée vers ses origines les plus lointaines.

Objets d'art

Vases, vitraux, tableaux, statues, les objets d’art ont une telle importance dans l’œuvre de Mérimée qu’ils s’imposent parfois dès le titre : La Vénus d’Ille, Le Vase étrusque. Leur qualité d’objet d’art est garantie par l’intervention d’un spécialiste (archéologue, antiquaire, collectionneur). Les objets d’art sont en rapport étroit avec l’histoire narrée : ils servent de contrepoint ironique à une situation (gravures de La Chambre bleue, portrait de Lucrèce Borgia dans Il Vicolo di Madama Lucrezia), ils jouent le rôle de catalyseur (comme le vase étrusque sur lequel Saint-Clair projette ses soupçons concernant le passé de sa maîtresse) ou déterminent le sort d’un personnage, comme le tableau des Âmes du Purgatoire, qui avertit don Juan du destin qui l’attend s’il persiste dans l’athéisme. Ils véhiculent presque toujours une idée de menace, de lutte ou de rivalité : le vitrail représentant le joueur de flûte de Hamelin dans Chronique du règne de Charles IX évoque une histoire de noyade et d’enlèvement d’enfants ; le vase étrusque est orné de l’image d’un Lapithe combattant un centaure ; l’inscription CAVE AMANTEM sur le socle de la statue de Vénus avertit du danger qu’encourt l’amant de la statue. La menace sera mise à exécution : le jeune Peyrholade meurt écrasé dans les bras de Vénus et la destruction du vase précède de peu celle de Saint-Clair, comme si les deux événements étaient liés par une relation indissoluble. Jusqu’à la fin, ces objets restent porteurs d’une essence inquiétante et fantastique : même fondue en cloche, la Vénus continue de frapper de gel les vignes. Objet d’art ? être vivant ? démone ? déesse ayant pris une consistance matérielle pour apparaître à l’homme ? Le mystère subsiste. De même le vase étrusque, même brisé en mille morceaux, poursuit le jaloux Saint-Clair qui n’a plus qu’à disparaître dans un duel.

Sexualité

Mérimée aime choquer la bienséance et se moquer des conventions. Il publie Arsène Guillot, histoire d’une fille entretenue, qui fait crier au scandale, peu après son élection à l’Académie française ; il écrit, en guise d’hommage funéraire à Stendhal, H. B., une plaquette dont dix-neuf exemplaires seulement devront circuler, où il évoque des confidences quelquefois crues de son ami sur ses expériences sexuelles ; enfin il adresse à l’impératrice Eugénie La Chambre bleue, petite satire littéraire et sociale, émaillée d’équivoques érotiques. Pour écrire ces textes, il s’inspire de cet « esprit français » qu’il loue dans l’œuvre d’Agrippa d’Aubigné .

Mérimée introduit au cœur de ses textes du hors-nature et du scabreux : un père aime sa propre fille (La Famille de Carvajal) ; une statue jette son dévolu sur un homme (La Vénus d’Ille) ; un être mi-homme mi-animal épouse une jeune femme (Lokis). La Chambre bleue raconte idylle fort teintée d’érotisme, La Double Méprise, celle d’une femme qui se donne à un homme dans une voiture, sans l’avoir désiré quelques heures avant. Flaubert s’en souviendra, probablement, pour écrire la scène du fiacre dans Madame Bovary, scène incriminée lors du procès et que la défense tentera d’innocenter en évoquant Mérimée… Celui-ci ne livre pas, toutefois, ses nouvelles au public sans avoir obtenu auparavant l’assentiment de quelques femmes de bon ton : c’est ainsi que Jenny Dacquin à qui il explicite, dans Lokis, le sens de la scène de l’enlèvement – du viol – de la comtesse par l’ours , lui suggérera d’expliquer la folie de la victime par un regard de l’effrayant animal… Et ainsi de suite, la plupart des œuvres de Mérimée se laissent lire de deux manières, l’une candide, l’autre plus avertie.

Pourtant, la provocation chez Mérimée ne correspond pas simplement à un goût du scandaleux. S’il se moque des grands sentiments « romantiques », c’est qu’il reconnaît la puissance du corps. Toutes ses nouvelles expriment la violence et l’impétuosité du désir qui n’a cure des lois. Carmen manifeste ce désir avec une sincérité outrageuse, lorsque, en balançant ses hanches à la manière d’une pouliche, elle jette au front de don José cette fleur de cassie qui le foudroie. Djoûmane aussi le montre de manière éloquente : le désir et le fantasme constituent l’origine de la création de Mérimée.